LE LIBERALISME ECONOMIQUE
Par la liberté d'entreprendre et le "libre marché" – dont la "main invisible" aurait, selon Adam SMITH, la capacité "magique" d'organiser favorablement l'économie –, le libéralisme économique prétend être le plus efficace pourvoyeur de richesses. Il se veut aussi le meilleur générateur de progrès, en favorisant l'innovation par l'émulation – la compétitivité –, le génie d'invention, le dynamisme et le travail, par l'intéressement. Il propose à chaque individu, selon ses performances, la perspective d'une réussite exceptionnelle.
Il se déclare naturellement compatible avec les valeurs démocratiques, dont il estime que la principale est la liberté. La seule égalité qu'il envisage possible, y est celle des droits, parmi lesquels celui de propriété est privilégié.
L'Amérique, dont la puissance économique éclatante se développe sans cesse, est depuis l'observation qu'en a faite TOCQUEVILLE (2), le modèle vivant et durable de la « démocratie libérale » et son zélateur. Les pays qui le peuvent, d'Europe notamment, l'imitent ou bien sont aspirés inexorablement, moitié à regret, moitié consentants, dans son sillage. L'effondrement de l'alternative idéologique du communisme, dont la mise en œuvre par les Pays de l'Est fut un fiasco, le fait apparaître comme le seul possible. Le « libre marché » a triomphé de la planification étatique.
LA "DEMOCRATIE LIBERALE" EST ANTIDEMOCRATIQUE PAR INEGALITARISME
Selon l'analyse rapportée
dans les THEMES (nature et divers types de pouvoirs) le
maximum de richesse donne le maximum de puissance ou d'énergie
et donc, grâce à l'information qui permet de
savoir la mettre en œuvre à son profit, procure le
maximum de pouvoir. Le maximum de richesse pourrait coïncider
avec le maximum possible de liberté et de démocratie,
si ce type de pouvoir était globalement à
disposition du peuple ou réparti, au maximum et égalitairement,
entre ses membres !
Hélas, la « démocratie libérale » ne remplit pas cette condition. Elle autorise « la liberté du renard dans le poulailler » – celle qui permet de devenir puissant au point de dominer ou rendre dépendants, sinon esclaves, les plus faibles. C'est l'inverse de la liberté qui, dans le principe de démocratie, provient de pouvoirs permettant aux gens du peuple de surmonter les obstacles et contraintes, les difficultés de la vie, et résulte de la correspondance entre le maximum de pouvoir individuel et l'égalité de ces pouvoirs entre les individus. Or le régime dit démocratique libéral, quand il réussit à faire augmenter la puissance économique globale d'un pays et surtout dans ce cas, génère de l'inégalité, par son principe même.
Dans la compétition féroce que se livrent les concurrents sur le marché, la réussite des uns entraîne l'échec des autres. L'entrepreneur ruiné en pâtit – c'était le risque associé à son libre choix d'entreprendre –, mais les salariés en font, aussi, souvent les frais, même si leur travail a été correct en quantité et qualité. On voit dans nos sociétés, ainsi régies, les décalages s'accentuer et la misère s'étendre de plus en plus, devant les portes bien gardées des palaces ou des « condominiums », résidences fermées, car l'insécurité va de pair avec la précarité.
La « démocratie libérale » fait émerger une aristocratie de l'argent, dont les privilèges de condition sont comparables à ceux de la noblesse d'ancien régime – parfois l'honneur en moins.
La démocratie – seul régime affirmant que tous les êtres humains se valent et doivent avoir le pouvoir de maîtriser leur destin –, ne peut évidemment être considérée comme atteinte, quand elle reproduit les situations qui ont amené le peuple à se révolter contre la tyrannie. Le droit de vote est loin de suffire à la réaliser.
LA "DEMOCRATIE LIBERALE" EST ANTIDEMOCRATIQUE PARCE QU'ELLE ENLEVE AU PEUPLE LES POUVOIRS LIES A L' ECONOMIE
Les Etats, selon la tendance plus ou moins « sociale » des partis au gouvernement, interviennent plus ou moins dans le jeu économique, soit pour en compenser certains effets, soit pour favoriser les entreprises de leur pays, lorsqu'ils le croient utile à l'intérêt national. Quand l'intervention porte sur l'emploi, les prix et, d'une manière ou d'une autre, vient en aide aux personnes ou entreprises défavorisées par la compétition économique, il s'agit d'une « démocratie libérale » atténuée qui peut se rapprocher de la « social-démocratie », dans ses méthodes et résultats, bien que les principes historiques aient été opposés.
La concentration des sociétés d'un même secteur, est une tendance naturelle des entreprises – correspondant à la recherche habituelle du maximum de pouvoir –, qui vise à leur procurer une place dominante sur le marché. Elle tend à ce que certains groupes atteignent des positions de monopole qui contreviennent au principe de concurrence, clé théorique de l'amélioration de la qualité des produits et services et de la baisse de leurs coûts, ainsi qu'à la constitution de puissances privées d'une importance telle qu'elles peuvent influer sur la politique des Etats.
Un déplacement des capitaux, une « délocalisation » d'usines engendrent hausse des prix, chômage, dans des proportions si fortes que l'emploi, dans la plupart des pays, dépend beaucoup plus de choix économiques privés, à travers le « marché », symbolisé par la Bourse, que de la politique des gouvernements. Avec la mondialisation de l'économie libérale, les grandes sociétés étant multinationales, cet effet joue au plan international, de manière différente mais avec une importance décuplée sur la plupart des pays pauvres (3). Nombre de ceux-ci subissent une deuxième colonisation de type économique, dans la mesure où leurs populations ne peuvent échapper à une exploitation étrangère, les nécessités de leur vie, leur survie même, l'emportant sur leur liberté. Ces Etats ont un tel retard technique et de telles difficultés budgétaires – parfois aussi, des gouvernants si peu scrupuleux –, qu'ils se laissent dépouiller du profit possible de l'exploitation de leurs ressources naturelles.
Les tenants de la démocratie libérale soutiennent que politique et économie sont des champs différents et que l'Etat de droit, « démocratie représentative » est le meilleur régime politique, puisque le libéralisme est le meilleur des principes économiques.
Cette séparation, qui ne tient pas dans les faits, est un contresens, selon notre analyse de l'idée de démocratie et de la notion de pouvoir. Tout pouvoir d'une certaine importance gouverne, qu'il soit économique ou institutionnel. Dans les deux cas, il est partie prenante de l'organisation et du fonctionnement de la société. Il est donc politique. Ainsi, dans l'expression du degré de démocratie, les grands groupes privés sont titulaires d'une partie des pouvoirs de gouvernement réel de la société. La démocratie n'y atteint pas, car ils ne sont pas accessibles au peuple. C'est donc, ici, dans son volet économique, par l'affaiblissement des « pouvoirs de gouvernement », que la « démocratie libérale » pèche.
Loin de nier cet effet, qu'elle ne juge pas antidémocratique, elle fait son credo du « moins d'Etat », donc moins de pouvoirs pour le Gouvernement. Pour bien marquer qu'il ne doit pas régenter la société, elle a remis au goût du jour et sorti du vocabulaire d'entreprise où il restait confiné, le terme de « gouvernance ». Désignant une nouvelle forme de gestion des affaires publiques, la « bonne » gouvernance associe au processus de décision et au règlement des problèmes collectifs qui se posent, des acteurs organisés de la société civile et de l'économie, les institutions gouvernementales étant jugées insuffisamment efficaces. Cette conception de la conduite de la société, implique une diminution du rôle de l'Etat, son désengagement des services publics, voire leur privatisation – l'usager devenant client des services rentables et, les associations caritatives suppléant l'«Etat providence » dans l'action sociale non lucrative.
La mise en œuvre du communisme s'étant révélée catastrophique, l'idéologie libérale, non seulement perdure, mais se développe et s'étend. Elle est, pourtant, loin d'avoir prouvé qu'elle était la solution satisfaisante moderne et planétaire à l'organisation des sociétés (voir les analyses de STIGLITZ, Prix Nobel d'Economie). Dans le train de misères qu'elle emmène avec elle, la détérioration de l'environnement n'est pas le moindre de ses défauts (4).
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(1) Ancien directeur du département américain de Planification politique, après la Première Guerre Mondiale, et stratège de la Guerre Froide.
(2) Alexis de TOCQUEVILLE, « De la démocratie en Amérique », 1840.
(3) Des pays d'Asie du Sud-Est, comme la Chine, ont pu profiter de la mondialisation de l'économie libérale, en s'opposant à ses effets négatifs, par le maintien d'un certain protectionnisme et en fixant des conditions à l'implantation d'entreprises étrangères et au placement de capitaux, que d'autres pays, d'Amérique Latine ou d'Afrique, n'ont pas été à même d'imposer.
(4) Ses supporters les plus immodérés, refusent la politique à long terme de préservation de la planète (cf. position du gouvernement des USA sur le protocole de Kyoto) pour la satisfaction immédiate des désirs à courte vue de leurs concitoyens.