LE PETIT TRAIT DE PLUME QUI UNIT DEMO ET CRATIE
Etymologiquement, la démocratie unit deux éléments fondamentaux, le peuple et les pouvoirs de gouvernement – car kratia n'est pas kratos et contient l'idée de système ou d'ensemble. Ecrasé par la stature de ces deux composantes, ce lien peut passer inaperçu. Il mérite, au contraire, la plus grande considération, car sans lui, le mot n'existerait pas !
La démocratie dépend fortement de ce lien. S'il est dénoué, lache ou fragile, la démocratie n'existe plus ou est affaiblie ! Sa signification doit être déterminée, pour bien expliciter l'idée de démocratie.
Selon l'Histoire de la démocratie grecque, il devrait signifier exercer : "le peuple exerce les pouvoirs de gouvernement". Mais ce serait d'entrée, avant toute discussion critique, définir la démocratie à partir du modèle direct grec, dont on met en cause l'applicabilité à l'échelle des grandes nations.
Nous préfèrerons donc l'exprimer par un terme modulable, mais non ambigu : la possession des pouvoirs de gouvernement, par le peuple. L'idée de possession présente l'avantage d'être intermédiaire entre celle de simple provenance et celle d'usage total. Elle conduit à une proposition de définition simple et acceptable par tous :
« la démocratie est un régime politique dans lequel le peuple possède les pouvoirs de gouvernement ».
Ce que je possède, je puis en user ou n'en pas user, mais le conserver à disposition pour en user, lorsque je le souhaiterai. Je puis aussi renoncer à m'en servir pour un temps. En revanche, si je l'aliène définitivement, je ne le possède plus. Ainsi, selon une telle définition, de nombreuses et très diverses possibilités sont ouvertes :
- tous les pouvoirs de gouvernement appartiennent au peuple et il les exerce tous en permanence ;
- il en exerce un certain nombre et en confie d'autres à des personnes ou groupes de son choix, selon des règles définies par lui et modifiables à son gré ;
- il les délègue tous pour une certaine période sans pouvoir les reprendre avant qu'elle ne soit terminée.
La notion de possession ne souffre toutefois pas le faux-semblant. Elle relève du concret et ne peut se concilier avec une pétition de principe. Elle implique au moins, qu'au départ, le peuple ait la réelle jouissance des pouvoirs de gouvernement et que, s'il y renonce en tout ou partie, il le fasse librement, en connaissance de cause. Exprimée au temps présent : « le peuple possède les pouvoirs de gouvernement », elle exclut la possibilité d'une aliénation totale, permanente et irréversible. L'usage peut se déléguer, pas la propriété. On ne saurait se contenter d'un Contrat Social supposé, passé dans des temps immémoriaux, et l'engagement pour l'éternité à renoncer à toute jouissance directe.
Notons que dans le "Vocabulaire technique et critique de la Philosophie" de la Société Française de Philosophie (André LALANDE, P.U.F., 1976), la définition donnée rejoint cette notion de possession, sous la forme réfléchie d'appartenance :
DEMOCRATIE , G. Demokratia ; D. Demokratie ; E. Democracy ; I. Democrazia .
A . Etat politique dans lequel la souveraineté appartient à la totalité des citoyens, sans distinction de naissance, de fortune ou de capacité.
DEGRE DE DEMOCRATIE D'UN REGIME POLITIQUE
On voit déjà ressortir que le caractère démocratique d'un régime est susceptible de varier amplement, selon que cette possession est purement de principe, plus ou moins déléguée ou exercée effectivement.
L'importance des pouvoirs de gouvernement institués, par rapport à tous ceux qui agissent sur la conduite – gouvernement au sens large –, de la société, joue dans le même sens, puisque ces pouvoirs sont ceux que possède, selon le facteur précédent, le peuple.
Enfin, au sein de celui-ci, les gens admis à posséder les pouvoirs en question, les citoyens reconnus, constituent une proportion plus ou moins grande de l'ensemble de la population et, d'évidence, la démocratisation va dans le sens de l'extension de ce peuple légal.
Voici donc trois paramètres principaux, trois facteurs, de valeur variable, d'une expression simple du degré de démocratie : la « Règle des trois P » (Peuple-Possession-Pouvoirs). Elle fournit, à défaut d'une valeur précise, une « grille » d'analyse, à trois critères de base, des régimes et idéologies politiques.
ON EN DEDUIT QUE :
TOUT CE QUI PERMET AU PEUPLE LE PLUS LARGE, D'EXERCER LE PLUS POSSIBLE, LES POUVOIRS DE GOUVERNEMENT LES PLUS ETENDUS, EST DEMOCRATIQUE.
TOUT CE QUI LIMITE LE PEUPLE LEGAL, L'IMPORTANCE DES POUVOIRS DE GOUVERNEMENT, AU REGARD DE TOUS CEUX QUI INFLUENT SUR LA CONDUITE DE LA SOCIETE, ET LEUR EXERCICE PAR LE PEUPLE, PORTE ATTEINTE A LA DEMOCRATIE.