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dans l'essai :


DEMOCRATIE
le nom volé d'une idée violée
de
Jean-Claude Martin

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Libres Propos




Soulèvement du peuple
en 1848

Honoré DAUMIER
(Phillips Collection - Washington)

 

TOUT CE QUI LIMITE
LE PEUPLE LEGAL,

TOUT CE QUI LIMITE L'IMPORTANCE DES POUVOIRS DE GOUVERNEMENT EXERCES REELLEMENT PAR LE PEUPLE, AU REGARD DE TOUS CEUX QUI INFLUENT SUR LA CONDUITE DE LA SOCIETE,

PORTE ATTEINTE A LA
DEMOCRATIE.

 

Ces thèmes sont développés dans l'essai :

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LE PEUPLE



Le peuple qui est à considérer en démocratie est-il celui des gens de chair et de sang ou la personne morale Peuple que représentent des parlementaires et "incarnée" par un Président, s'appuyant sur un Gouvernement nommé par lui, pour gouverner ?

 

C'est à ce choix que se joue, aussi, le caractère démocratique d'un régime politique.

 

LE DEMOS GREC

 

Au Vème siècle avant J.-C., dans la communauté athénienne, il regroupait l'ensemble des citoyens jouissant des droits politiques, notamment celui de prendre en commun les décisions importantes pour la marche de la Cité (au cours des réunions de l'assemblée populaire, l' ekklesia ). C'était un peuple de citoyens, avec des discriminations énormes. Etaient exclus : les esclaves, les métèques (habitants d'origine étrangère n'ayant pas obtenu le « droit de cité », parcimonieusement accordé), les femmes et les jeunes.

Il ne faut toutefois pas oublier qu'avant l'instauration de la Démocratie, le terme demos existait. Comme le mot « peuple », tel qu'on l'entend encore de nos jours lorsqu'il s'écrit avec p minuscule ou par le qualificatif « populaire », il désignait le grand nombre de ceux qui ont le moins d'avantages et de moyens : la classe inférieure de la société.

LE PEUPLE LEGAL DES CITOYENS

Aujourd'hui encore, dans les « démocraties modernes », la définition du citoyen reste limitative. Le droit de vote, expression de la souveraineté populaire – dont on notera qu'il est bien inférieur au droit de délibérer des Athéniens –, n'est pas accordé à tous les habitants. Les étrangers et les jeunes en sont exclus.

Quant aux femmes, elles ne l'ont obtenu que récemment : après la Deuxième Guerre Mondiale, dans la République Française , et seulement en 1971, dans la Confédération Helvétique. Enorme différence, par contre, il n'y a plus d'esclaves ni de colonisés  de jure, catégorie intermédiaire, aux droits limités.

Pour les démocraties anciennes ou modernes, le peuple qui compte est donc un peuple « légal ». C'est l'ensemble des citoyens. Il n'inclut pas tous les habitants du pays, mais seulement des personnes physiques remplissant certaines conditions légales. Elles seules, sont habilitées à exercer, en commun, les pouvoirs de gouvernement que la loi désigne.

LA NON DISCRIMINATION DE LA PLEBE

 

La démocratie grecque a procédé d'une évolution lente des institutions : l'atténuation progressive des pouvoirs de la royauté au profit d'une aristocratie, puis la redistribution de ceux de l'oligarchie, entre les citoyens. Elle est finalement née, lorsque les gens du peuple (dans le sens bas-peuple) ont accédé au pouvoir de décider la conduite des affaires de la cité, à égalité avec les aristocrates, chaque citoyen valant l'autre. Quand il s'agit de démocratie, cette observation est d'autant plus fondamentale, que les régimes démocratiques modernes, qu'ils résultent d'une évolution de même type ou d'une révolution brutale, ont tous cette caractéristique : par rapport à la situation antérieure, le peuple-plèbe-classe inférieure y a acquis le droit et, partiellement, le pouvoir (exercice de ce droit) de participer au gouvernement.

Ici, l'Histoire, par la convergence de toutes les histoires des démocraties existantes ou ayant existé, fournit une indication significative : le peuple dont il est question dans la démocratie, englobe nécessairement le bas-peuple. C'est aussi une évidence logique et étymologique. S'il y avait eu discontinuité entre le demos postérieur à la naissance de la démocratie et le demos antérieur à elle, entre le peuple redéfini par le nouveau contrat social et la classe que le mot définissait jusque là, le nouveau régime porterait un autre nom.

En corollaire de cette condition, caractéristique première de la démocratie, si des membres de la société ou des habitants du pays considéré sont privés des droits correspondants, ils ne peuvent l'être pour des raisons d'appartenance à une classe sociale. Par principe donc, une loi démocratique ne doit comporter aucune clause de discrimination sociale ; elle doit s'appliquer à tous.

On opposera à l'argumentation précédente qu'à Athènes, la classe inférieure était celle des esclaves, exclue de tout droit. C'est vrai ; en toute rigueur, l'analyse de sa genèse, permet seulement de conclure que la démocratie a correspondu à une extension de la classe dirigeante vers les basses couches de la société, mais elle n'avait pas atteint les plus basses.

 

LA DEMOCRATISATION OU L'EXTENSION DU PEUPLE LEGAL

 

L'histoire récente viendrait aussi appuyer cette restriction ; l'octroi de droits politiques aux émigrés fait toujours problème et les pays qui s'autoproclament démocratiques, revendiquaient tout autant ce qualificatif au temps des colonies, ou lorsque les femmes ne votaient pas.

Il faut alors observer que la démocratie a toujours succédé à des régimes plus autoritaires (autocratie, aristocratie, oligarchie). Elle a résulté d'une démocratisation qui, à un certain stade, a marqué un tel contraste avec le système politique antérieur, qu'il a fallu lui donner un nom spécial. Mais le stade où la dénomination s'impose n'est pas forcément le stade d'achèvement de la démocratie. Il est logique et raisonnable de penser qu'il marque seulement le franchissement d'un seuil au delà duquel le mouvement est encore possible. Et le nouveau régime, une fois instauré, n'est pas figé ni invariable. Si son amélioration est envisageable, autrement dit, si la démocratisation de la démocratie est possible, alors l'élargissement de l'accès au pouvoir en faveur des classes inférieures, même s'il est stoppé par l'Histoire avant d'atteindre les plus basses, doit être considéré comme inhérent à l'idée de la démocratie, parce qu'il est le prolongement du mouvement de démocratisation qui l'a générée

Ainsi, l'octroi de droits politiques aux émigrés serait un progrès de la démocratie. La question reste de savoir si d'autres critères de fonctionnement de la société, s'en accommodent.

 

L'EXCLUSION DES ETRANGERS OU LA DEMOCRATIE MONDIALE ?

 

Le peuple peut-il être « tout le monde » y compris, et surtout peut-être, les derniers à en être exclus ? C'est discutable, car dans ce cas, une société démocratique (un Etat) devrait être ou bien hermétiquement fermée aux étrangers, ou bien, si elle était ouverte, reconnaître à ceux-ci, systématiquement les mêmes droits qu'à ses ressortissants. Aucun de ces deux cas n'est réaliste. Comment concevoir qu'une société où la démocratisation aurait progressé jusqu'à sa limite ultime, où n'existerait plus une personne qui n'ait les mêmes droits et pouvoirs politiques que toute autre, puisse fermer ses portes au monde environnant ? Qu'une société aussi exemplaire de générosité et de morale intérieures, soit aveugle aux injustices et inégalités extérieures ?

Quant à la société totalement ouverte, dont tous les habitants, quels qu'ils soient et d'où qu'ils viennent, constitueraient le peuple délibérant, elle serait en fait indéfinie, puisque tout étranger pourrait en être, à volonté, citoyen. Comment pourrait­elle rester stable dans son régime, à côté d'autres systèmes différents et d'éventuels adversaires ? On ne saurait l'imaginer que comme Société du Monde, regroupant l'humanité toute entière. Celle-là serait bien la démocratie idéale. Mais peut-on seulement rêver qu'un jour elle existe ?

 

LE PEUPLE VU COMME VARIABLE DU DEGRE DE DEMOCRATIE

 

Accordons donc que le peuple puisse varier dans sa composition d'un système politique à l'autre. La condition absolue (« idéaliste ») du peuple total n'est alors plus imposée, sans pour autant que la concession aux partisans d'une quelconque limitation soit grande, car de l'étendue du peuple légal dépend le degré de démocratie à attribuer au régime considéré. Si le nombre de ceux qui jouissent des droits politiques de délibération sur les affaires générales est limité, le degré de démocratie reconnu sera faible. Que la valeur du seuil au delà duquel l'appellation « démocratie » doive être accordée soit discutable et discutée importera peu, si est admise la conclusion que la démocratisation croît comme la proportion d'individus qui composent le peuple légal. Car chaque système recevra la considération qu'il mérite et les abus d'usage de l'appellation seront démasqués.

 

LE peuple ET LE PEUPLE

Une autre question à régler concernant le peuple est de savoir s'il doit être vu comme une pluralité de personnes ou une entité supra individuelle, un tout organique : le Peuple (avec majuscule).

Le mélange courant ou la non distinction de ces deux acceptions, le passage sans précaution de l'une à l'autre, ne sont pas sans contribuer pour une large part, à la confusion du discours sur la démocratie. Pire, ils peuvent servir d'instrument à des mystifications partisanes, visant à donner l'illusion de la démocratie et favoriser, par conséquent, des agissements antidémocratiques. Car la notion de Peuple (avec P majuscule), globalisation personnifiée de l'ensemble des citoyens, portée à l'extrême et désincarnée, se prête à parer du travesti démocratique, le totalitarisme le plus dur et à justifier l'écrasement des hommes et des femmes dans leur individualité.

 

Si le peuple (avec un p minuscule) est bien ce qu'il semble être concrètement et physiquement, c'est-à-dire la somme des individus qui le constituent et rien d'autre, alors le Peuple (avec un grand P) risque de devenir son ennemi.

 

Un tel danger est d'autant plus difficile à sentir et donc à éviter, que le terme Peuple, avec un grand P, est associé, dans les déclarations les plus généreuses et solennelles, dans les écrits les plus importants, les Constitutions et les Lois des Républiques, à ceux qui explicitent les libertés et droits acquis aux cours des avancées de la Démocratie. Dans la culture, la tradition et le rituel républicains, Peuple est sacralisé. Il fallait sans doute à l'origine que, face aux êtres suprême et supérieur, Dieu et le Roi, qui ne lui avaient pas fait place, le peuple pour sortir du néant, accéder à la puissance politique, et surtout pour la garder, devienne lui aussi un être idéalisé et moral : Tout en Un.

 

L'émergence de la notion de Peuple ne tient toutefois pas à ces seules causes psycho-historiques, ni son maintien dans les législations modernes, aux seules pratiques politiciennes antipopulaires. Elle est aussi soutenue par une conception rationnelle du gouvernement selon laquelle, la puissance dispersée étant de la puissance perdue, le pouvoir doit être placé sous la dépendance d'une autorité unique. Une telle exigence, que la monarchie ou l'autocratie satisfont tout naturellement, implique, pour le régime démocratique, qu'il s'organise de manière à faire confluer la somme innombrable et protéiforme des volontés individuelles en une seule et même volonté. Alors, le peuple, ensemble d'individus nombreux et physiquement distincts, par l'organisation ainsi conçue de la démocratie, si l'on n'en considère que les résultats globaux, paraît se comporter comme un être pensant unique. Le pas est franchi qui le personnifie : le voilà Peuple (avec P majuscule).

 

Au stade actuel de notre raisonnement et parce que, d'abord, nous avons fait ressortir le paramètre de possession des pouvoirs par le peuple, le Peuple avec p majuscule apparaît comme ne pouvant être le peuple entrant dans la définition de la démocratie. Car la manière dont un régime, par ses lois ou ses pratiques, transforme le peuple en entité Peuple, consiste en une distribution de pouvoirs à des individus ou groupes (gouvernants, représentants ou députés).

 

Croire que le peuple puisse se ramener entièrement à une entité qui le représente, c'est le rendre inutile. Et n'est ce pas alors desceller l'union de  demos et de kratia ?

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