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DEMOCRATIE
le nom volé d'une idée violée
de
Jean-Claude Martin

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Libres Propos

LA SOCIAL- DEMOCRATIE

«  Les socialistes sont tombés dans le piège psychologique de la pensée libérale.  »

 

Goliarda SAPIENZA

La social-démocratie est un modèle de démocratie représentative qui se situe, dans ses principes, entre le régime des « républiques socialistes » – parti unique, dictature du prolétariat, nationalisation des moyens de production –, et celui de la « démocratie libérale ».

UNE IDEOLOGIE REFORMATRICE

La social-démocratie voudrait, dans son idéal, conjuguer socialisme et démocratie, par la réforme de la société capitaliste, sans révolution violente. Elle fonde ses espoirs sur une politique socio-économique interventionniste de l'Etat, soutenue par une majorité parlementaire s'accordant sur ses objectifs et issue d'un système de partis pluraliste, ainsi que sur l'action de syndicats libres et forts, dans l'entreprise : « démocratie parlementaire » et « démocratie sociale », sont deux principes de fonctionnement complémentaires, de la social-démocratie.

L'idée, en matière économique est d'éviter ou atténuer les effets négatifs du libéralisme « sauvage », par une action de l'Etat sur la production et les marchés, visant à la satisfaction de la demande en biens de consommation et services essentiels, à la stabilité des prix et de la monnaie et au plein emploi. Les moyens employés consistent principalement, en une réglementation, des interventions ou incitations financières et, le cas échéant, la création ou le maintien d'un secteur public, à côté du secteur privé, largement majoritaire, de la libre entreprise.

 

Ce modèle s'inspire des idées de l'économiste et mathématicien anglais John Maynard KEYNES, dont l'œuvre principale est : «  The general theory of employment, interest and money  », 1936.

 

Au plan social et humain, il s'agit d'atténuer les inégalités en développant le niveau d'éducation, les équipements et services publics, la protection sociale, sanitaire, etc..

 

DES SUCCES, MAIS UNE INCAPACITE A ENDIGUER LA MONDIALISATION DU LIBERALISME ECONOMIQUE

 

Si dans des conditions favorables, la social-démocratie a connu des succès dans des pays d'Europe du Nord, jugés exemplaires, au regard des résultats d'autres politiques se réclamant de mêmes principes, voire plus ambitieuses, comme le « socialisme à la française », on constate que, dans le contexte d'un libéralisme économique dominateur, se généralisant à l'échelle de la planète, les régulations nationales se révèlent insuffisantes.

 

La politique a été prise de vitesse par la globalisation mondiale de l'économie (ou « mondialisation »). Elle se révèle incapable de s'établir et de défendre puissamment ses options, au niveau d'un continent et, a fortiori, de la planète. Les exemples de l'incurie, en certains domaines, de l'Union Européenne et des grandes Organisations internationales, sont légion. Le libéralisme économique prenant du champ, la régulation social-démocrate n'intervient pas avec assez d'effet. De plus en plus, même, ne pouvant le contrôler, elle est contrainte de le suivre.

 

En termes de cybernétique, on dirait que la social-démocratie, fondée sur la notion de régulation, est un système du type « à contre-réaction ». La démocratie libérale est du type « en chaîne directe », dont le propre est de ne pas limiter l'amplitude de son action, quitte à ne pas pouvoir la corriger, quand elle atteint des excès. L'une est un régime du compromis et de la modération, l'autre un régime dynamique, mais violent. La question est que les « chaînes de réaction » de la social-démocratie doivent, pour remplir leur fonction, être aptes à procéder à la correction des « erreurs » ou « écarts » à la « référence » (les objectifs) et de l'effet des « perturbations » qui ne manquent pas de se produire en matières politique, sociale et économique. La conclusion serait que l'amplitude de l'action de la « fonction » régulatrice, ou des organes régulateurs, est insuffisante pour pouvoir les compenser. La « réaction » serait jugée trop lente, décalée dans le temps, « déphasée », avec « retards ». Pire encore, il apparaîtrait que le système a des défauts structurels. Les organes de régulation, instaurés par les politiques, ne jouent pas partout où il faudrait et les « critères » de décision, liés aux objectifs à atteindre, ne sont plus adaptés aux conditions extérieures nouvelles.

 

Quoique d'une manière différente, par ses analyses et les leçons qu'il tire de son expérience des évolutions du monde économique, Joseph E. STIGLITZ,* Prix Nobel d'Economie 2001, rejoint les conclusions précédentes d'un retard de l'action politique sur la mondialisation économique. Ce retard a plusieurs causes. D'une part, la social-démocratie, ne s'étant développée que dans les pays scandinaves, ne pouvait avoir d'effet sensible sur les orientations de l'économie mondiale imprimée par les U.S.A.. D'autre part, le "Marché", dominé par les firmes multinationales, perce les frontières à son gré. Il ne se prive pas d'utiliser le pouvoir de l'argent, l'attrait du progrès, de la croissance et de l'emploi, pour influencer les politiques économiques de tous les pays, dans le sens qui lui est favorable.

 

L'échec de l'économie soviétique, n'est pas pour rien dans l'idée, largement répandue, qu'il n'y a pas d'alternative. Les socialistes non communistes et les sociaux-démocrates ont une vision de la société plus juste, plus humaniste et généreuse, que les libéraux et conservateurs, mais ils ont perdu la conviction que le modèle, rêvé par leurs aînés, soit applicable. Ils ne paraissent plus avoir une détermination suffisante d'agir pour inverser la tendance.

 

Une image, intuitivement parlante, de la situation, serait celle du bateau Société, qui, emporté dans le souffle du libéralisme, ne peut plus « remonter au vent » et dérive. Il perd progressivement de vue le « cap » (les objectifs sociaux), qu'il se proposait d'atteindre. Puis il renonce à poursuivre la route tracée et ne peut plus que voguer « sous le vent », dans la direction globale que celui-ci lui impose, en espérant une accalmie qui ne vient jamais. Le libéralisme ou le capitalisme, selon le nom qu'on lui donne, n'à pas de pause.

 

La social-démocratie tourne, ainsi, progressivement, mais inéluctablement, à la démocratie libérale. Loin d'en être le modèle opposé, comme dans ses premières intentions, elle en est devenue la forme atténuée.

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(*) «  Making Globalization Work  », Norton, Sept. 2006. Trad. française : «  Un autre monde  », Fayard.

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